mardi 20 février 2007

Grizzly man

On cause télé, bouffe, examens, loyers, la bave pendue aux lèvres, les lèvres blanches comme des larves, les ongles noirs, la merde au cul, la tête remplie de fantasmes au rabais. Comme ça, concentrée dans le métro du matin -mauvaises haleines, odeur de tripes, déodorants cheap en surdose- une société de morve en voyage. Et aussi loin que l’on puisse projeter son regard, aussi loin que l’on puisse envisager son avenir, le même horizon de couille molle, le même telos puant et informe.


Et alors je me dis que je comprends ce type que l’on voit dans Grizzly Man, le film documentaire de Herzog. Et je jalouse le courage et la folie de ce type, un peu simplet, ex-alcoolique, ex-petite frappe, serveur dans un fast food médiéval en Californie qui décide d’aller vivre avec les grizzlys au nord de l’Alaska pour les protéger du braconnage. Ce personnage n’a d’abord rien de troublant, du genre bout entrain WASP mal dégrossi comme 90% des mâles occidentaux de moins de quarante ans. En société, il ne serait qu’un minable de plus que l’on plaint de mener une existence aussi merdique. Mais très vite, lâché au beau milieu d’une nature grandiose et hostile, l’imbécile est transfiguré, et au fur et à mesure que les films de ses expéditions s’enchaînent il se métamorphose en un être incroyablement fort, fascinant et dangereux.
D’abord on voit un mec un peu cinglé qui gesticule dans une immense vallée, à la poursuite de braconniers inexistants, une sorte de Don Quichotte écolo dépourvu de toute démarche scientifique qui se contrefout des consignes de sécurité : il caresse les ours, frappe leurs museaux, lit dans les yeux de ces bêtes sauvages empathie et compassion. I love you, thank you for being my friend dit-il mielleusement à un ours de trois cent kilos. Rien à foutre également de la vulgate rationaliste laborieusement élaborée au cours des siècles qui le précèdent et intégré par la majorité des consciences. Lorsque l’absence de pluie menace l’écosystème de la vallée, il s’insurge contre les cieux Jesus, Allah, we need some fuckin’rain !!!!!!!, et la pluie se met à tomber, it’s a miracle commente t-il avec le même sourire guimauve. Pour l’instant, c’est divertissant. Plutôt cool. Mais ça pète pas beaucoup plus haut qu’une interview de Jean Claude Van Damme, les beaux paysages en plus. Ensuite, sans qu’on ne le sente vraiment venir, ça devient renversant.
Comme le film progresse, Herzog nous montre d’autres images autrement plus puissantes, des images de colère inouïe, de rage primitive, de sang et de flammes, d’autant plus glaçantes que nous avions été amadoués par le cabotinage de la première partie du film. Et petit à petit, l’écolo naïf se révèle rongé par une misanthropie éperdue, sans bornes. Il crache sa haine pour l’être humain devant sa caméra numérique, dévisse au milieu d’un cirque montagneux, au milieu des ours, des renards et des cervidés, des roches polies, des forêts impénétrables, et sa haine gonfle comme amplifiée par l’absence totale de ce qu’il abhorre. Nous comprenons alors que de cette haine que lui inspire la civilisation il tirera une extraordinaire et monstrueuse passion : devenir un ours. Alors, le film lui-même devient malade, ravagé par la folie de cet impossible retour à l’état de nature, fissuré par la douleur de cet homme décidé à renverser l’ordre du monde. Puis la solution apparaît, dans sa trivialité tragique : l’idiot du village est dévoré par la bête.
Point limite. Tu peux pas test. Tu peux toujours cracher sur ta bite comme le chanteur de Daughters, ou chier dans un squat anar en hurlant « encule moi papa ! » à la Jean Louis Costes, tu continueras à prendre ce foutu métro, à chercher de la thune pour payer ton loyer, à flipper parce que ça fait plus d’un an que plus une seule fille ne te regarde, à être gêné quand tu cognes un clodo alors qu’il s’accroche à ta veste en hurlant « je cherche un homme !!! »… Tristement commun. Alors tu peux toujours regarder en boucle Grizzly Man de Herzog et laisser sa beauté sauvage investir ton inconscient d’esclave. C’est le dernier vertige qui te soit offert pisse-menu.

Texte : Julien

4 commentaires:

stephane radar a dit…

T'as raison: Timothy Treadwell était tout sauf un pisse-froid, même au grand nord.
Mais hélas les vents un jour ont apporté de nouveaux grizzlis, plus distants encore que les anciens, plus affamés aussi.
Les hurlements de Timothy Treadwell au moment où il entrait enfin dans le ventre de la bête sont gravés sur bande sonore, et Herzog a la pudeur de nous les épargner. Timothy a vécu en cinéaste, il est mort en musicien.
Et il a bien mérité ton hommage.

Anonyme a dit…

C'EST CLAIR, CHA CLAQUE.

Anonyme a dit…

Fallait pas vendre la peau de l'ours avant les boeufs

Anonyme a dit…

Merci.